(BFM Bourse) - L'euro prend plus de 1,3% face à la devise américaine ce vendredi, atteignant des sommets inédits depuis février 2022. Plus que l'euro qui monte c'est surtout le dollar qui souffre, alors que l'ensemble des actifs américains tombent en désamour auprès des investisseurs.
La grande remontada de l'euro face au dollar, enclenchée depuis le début de l'année, s'accélère. Ce vendredi, la devise européenne bondit encore de 2,1% face au billet vert, ce qui correspond à une hausse vertigineuse sur le marché des changes.
L'euro dollar s'établit à 1,1451 dollar vers 10h55 après. La monnaie de la zone euro évolue actuellement à des plus hauts face au dollar depuis février 2022. Sur l'ensemble de 2025, l'euro reprend près de 10,5% face au dollar.
L'euro a pu être porté par certains facteurs positifs, notamment la conclusion, mercredi, d'un accord de coalition en Allemagne, qui enlève définitivement une incertitude politique européenne. Ce pacte augure aussi de mesures de relance pour l'économie allemande, en perte de vitesse depuis de nombreuses années. Berlin compte notamment mettre en place un vaste plan de relance de plusieurs centaines de milliards d'euros dans les infrastructures et la défense.
Mais plus que l'euro qui monte, c'est surtout le dollar qui est en chute libre. L'indice DXY, qui mesure la performance du billet vert face à un panier de grandes devises recule de 1,6% ce vendredi, 8,5% depuis le début de l'année.
Un "bateau ivre"
La baisse de la devise américaine, ces derniers jours, n'a rien d'"habituelle" car elle se conjugue à une poussée de fièvre sur les taux de la dette américaine. Le rendement de l'obligation américaine à 10 ans s'inscrit ce vendredi à 4,43% contre environ 3,8% lundi après-midi. Sur X (ex-Twitter), John Plassard, conseiller en investissement chez Mirabaud, remarque que le taux de l'obligation américaine a même tapé les 4,5%. À un tel niveau, la hausse hebdomadaire du rendement serait la plus forte depuis trois ans, observe-t-il.
Normalement, quand les taux obligataires d'un pays grimpent, la devise de ce même pays a tendance à s'apprécier. La rémunération augmente ce qui incite normalement les investisseurs à placer leur argent et donc à "acheter" la devise.
Sauf que les actifs boursiers américains (dollar, obligations, actions) sont en train de tombés en désamour auprès des investisseurs.
"Le dollar et les bons du Trésor s'échangent comme des bateaux ivres (…) il n'y a pas d'ancre en ce moment, et les deux restent vulnérables à de nouveaux effondrements", remarque Stephen Innes de Spi AM. L'expert de marché estime que l'eurodollar pourrait monter à 1,15 dollar.
Stephen Innes note que les investisseurs sont en train de bifurquer du dollar vers les autres devises. "La rotation vers le franc suisse, le yen et l'euro est logique compte tenu de la perte d'attrait du dollar", liée à l'érosion de son statut de "valeur refuge".
"Crise de confiance"
Les investisseurs perçoivent des risques de récession et d'inflation aux États-Unis. Ils vendent en conséquence des actifs américains pour redéployer leurs fonds vers des titres d'autres pays. Ces mouvements de flux exercent une pression à la baisse sur le dollar et soutiennent au contraire les autres devises.
Comme nous l'avons écrit dans un précédent article, le dollar fait face à un risque de "crise de confiance", notamment en raison de la politique douanière de Donald Trump. George Saravelos, stratégistes devises chez Deutsche Bank, estime que la façon dont les États-Unis ont calculé les droits de douane réciproques appliqués aux autres pays - grosso modo une formule niveau collège - "soulève des inquiétudes sérieuses sur la crédibilité de la politique économique (américaine)" malmenant par la même le dollar.
George Saravelos craint que les investisseurs n'aient plus foi dans les perspectives de l'économie américaine. Ce qui pourrait créer un bouleversement majeur: les flux de capitaux qui se sont constamment déportés, lors de la dernière décennie, du reste de monde vers les États-Unis (ou plus exactement sur les actifs américains) pourraient repartir vers leurs pays d'origine. Un tel scénario affaiblirait considérablement le dollar.
"À la fin des fins, les États-Unis ont un important déficit courant (le déficit commercial auquel on ajoute les flux nets de services et les flux nets de revenus financiers, NDLR) et la stabilité de leur monnaie dépend des entrées de capitaux", explique-t-il.
Notons toutefois qu'une hausse de l'euro face au dollar, si elle témoigne d'un regain de confiance pour les actifs européens, n'est pas forcément une bonne chose pour les marchés actions. "Si l'euro a probablement progressé pour de bonnes raisons (rapatriement de capitaux des États-Unis, croissance plus forte et optimisme quant aux mesures de relance allemandes), il a un impact négatif sur les révisions des bénéfices par action et menace donc la performance relative de l'Europe par rapport aux États-Unis", prévient Barclays.
"Un euro plus fort ajoute également au casse-tête de la Banque centrale européenne, dont la réunion de la semaine prochaine sera donc suivie de près", prévient par ailleurs la banque britannique.